De la folie : considérée sous le point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire, depuis la renaissance des sciences en Europe jusqu'au dix-neuvième siècle ... / par L.-F. Calmeil.

  • Calmeil L. F. (Louis Florentin), 1798-1895.
Date:
1845
    à faire rebrousser cliemin à ses légions qui avaient tout mis à feu et à sang au-delà du Rhin. Néron, ainsi qu’Oreste, ne savait où fuir dans certains momens pour se soustraire là l’obsession du spectre de sa mère qui l’accablait de per- sécutions. L’empereur Tacite passait aussi, lui, pour avoir aperçu l’ombre de sa mère, et cette vision donna lieu à de funestes présages. Constantius ne dissimulait point à ses familiers l’épouvante que lui causait souvent la nuit l’ap- pai'ition de certains esprits. Julien discourait volontiers sur les impressions que lui avaient souvent fait éprouver la visite ou la vue des génies. L’apostat ne se vantait pas seulement d’avoir été assisté par le génie d’Esculape pen- dant le cours de ses maladies; c’était encore, à l’en croire, un démon qui l’était venu informer que la vie de Constance toucherait à son terme au moment où Jupiter entrerait au signe du verseau, et où Saturne serait à un certain degré du signe de la vierge. Julien, ayant cru apercevoir sous sa tente un génie à la figure morne et au teint hâve, en tira l’augure que sa fin serait prochaine, et il paraît que pour cette fois la prévision du philosophe empereur ne fut que trop réelle. D’un autre côté la tradition avait consacré l’importance lies témoignages particuliers qui suivent et qui seront ap- préciés à leur juste valeur par les vrais catholiques. L’on avait entendu dire à sainte Perpétue, quelques jours avant ïon martyre, que la forme spirituelle du diacre Pompo- nius avait frappé ses regards, et que cet esprit lui avait oarlé. La même sainte avait reçu la visite d’une effigie ju’elle avait reconnue avec émotion : c’était celle de Dino- crate, son jeune frère, qui avait succombé dès l’âge de lept ans à une maladie cancéreuse de la joue. J.e martyr Sature, qui paya de sa vie comme tant d’au- TOVIK I. 7
    très, au commencement du troisième siècle, son attache- ment pour la foi, s’était senti emporté par des anges ; ces divins messagers l’avaient ensuite confié à d’autres es- prits, et il s’était vu en présence de certaines formes ou es- sences qui avaient l’aspect de Saturnin, de Joconde et d’Optât. Le païen Basilide, qui remplissait du temps de Sévère les fonctions d’archer, si ce n’est celles d’exécuteur, et qui avait probablement tranché la tête de plus d’un mar- tyr, se décida lui-mème à périr pour la cause du Christ. Cette conversion eut lieu à la suite d’une apparition ; sainte Potamienne s’était subitement présentée à la vue de Basilide, la couronne du martyre à la main, et lui avait annoncé que sa place était marquée dans le ciel, On tenait de saint Cyprien qu’im ange dont la forme était majestueuse avait apparu tout resplendissant de lu- mière, à un saint évêque d’Afrique, qui n’avait pas montré assez de fermeté pendant une persécution, et que cet espi'it s’était exprimé sur le ton de la colère et de la menace. Saint Cyprien avait été visité aussi lui, avant son mar- tyre , par une créature céleste qui, sous l’apparence d’un homme jeune, présentait une taille extraordinaire. L’évêque de Carthage comprit aux gestes de cet esprit qu’un jour lui était accordé pour se préparer à quitter la vie. L’esprit d’Irène, fille de l’évêque Spiridion , apparut à ce saint prélat et lui indiqua le lieu où elle avait caché, quelque temps avant l’invasion de la maladie qui l’avait précipitée au tombeau, de riches trésors, qu’un particu- lier avait confiés à sa garde. Constantia, fille de Constantin, ayant été visitée peu-
    (lant une maladie par l’ombre de sainte Agnès, avait cru devoir élever nn temple à cette généreuse protectrice. Anochalins, bien que délïint, s’était présenté à saint Ambroise, et ce même évêque racontait qu’il avait vu apparaître jusqu’à trois fois l’effigie de saint Protais, de saint Gervais et de saint Paul, qui avaient fini par lui dé- couvrir des choses d’une haute importance. Au dire de Sulpice-Sévère, le diable s’était un jour pré- senté à saint Martin dans un costume pompeux, la tête chargée d’un diadème resplendissant de pierreries. Le di- gne évêque de Tours s’était vu bien plus souvent entouré d’anges. Saint Antoine avait raconté ses tribulations à tous ses religieux. L’esprit de ténèbres l’était venu tenter sous la forme d’une jeune fille, d’un enfant, d’un solitaire. Des troupes de démons s’étaient ruées sur sa personne sous la forme d’ours, de tigres, de lions, de serpens, de tau- reaux et de loups ; il avait entendu leurs sifflemens, leurs mugissemens, leurs grincemens de mâchoires; avait été déchiré par la griffe de ces bêtes, par la corne des tau- reaux; mais un rayon de lumière divine l’avait guéri instantanément et les anges de Satan avaient pris là fuite. Jean-Chrysostôme, se rendant au lieu qui lui était assi- gné pour son exil, aperçut l’effigie de Basilique, et apprit de cette forme qu’il n’avait plus qu’un jour à rester sur la terre. Prétextata, ayant voulu détourner la nièce d’Himmetius du chemin du salut, fut visitée par un ange qui l’apos- tropha d’une voix tonnante et qui présagea sa tin pro- chaine. Saint Augustin, se préparant à consulter saint Jérôme
    sur une difïicullé relative à la gloire des anges, lut tout à coup assailli par les rayons d’une lumière éblouissante et frappé d’une odeur délicieuse. Ce saint entendit ensuite une voix qu’il crut être la voix de Jérôme, bien qu’il n’aperçût pas son image ; mais Eusèbe a cru voir l’ame de saint Jérôme. Il serait facile de citer une infinité d’exemples d’apparitions d’ames. A présent, la plupart des exemples de visions ou d’apparitions d’anges, de démons, d’êtres de nature spirituelle, qui ont été recueillis depuis le milieu du cinquième jusqu’au quinzième siècle, sont rejetés par la portion du clergé réputée sage et attachée à de saines doctrines théologiques. Mais la validité des témoignages aujourd’ hui réputés faux, douteux, ou attribués par les vrais fidèles à un état d’exaltation maladive de l’imagination, n’était rien moins que suspectée pendant le moyen-âge; chaque semaine, alors, si ce n’est chaque jour, on devait se résigner à entendre raconter que quelque digne abbé, que quelque pieux moine avait eu maille à partir avec des diables ou avec quelques fantômes acharnés contre sa personne, et en général ces faits ne jouissaient pas de moins d’autorité que ceux qui sont consignés dans l’An- cien et dans le Nouveau Testament, que ceux qui avaient été attestés par les saints martyrs et par les saints Pères. On a de la peine à comprendre en lisant les récits de Bède, de Pierre d’Ammien, de Pierre de Cluny, surnom- mé le vénérable, d’Hincmar, de Thomas Brabantin, en parcourant un déluge d’histoires conservées dans l’iin- mense recueil des Bollandistes, que l’abnégation de tout esprit de critique ait pu être poussée à ce point, et persister pendant aussi longtemps dans tous les rangs du clergé. Virgile, en représentant Énée descendu au fond des enfers
    loi clUouré d’une légion d’esprits, songeait bien moins pro- bablement à nous convaincre de la réalité de l’existence des êtres incorporels, qu’à augmenter le charme de sa divine épopée, en variant les situations de son héros. Dans le moyen-âge, des visionnaires crurent sérieusement assis- ter à des réunions d’anges, contempler sous leurs pieds l’abîme de feu où se trouvent relégués les esprits rebelles ; distinguer dans les régions de l’air des troupes d anges luttant contre des bandes de démons, pour ravir à leurs redoutables adversaires quelques aines damnées. Les témoi- gnages de ces visionnaires furent cités avec autant de respect que d’admiration. Chaque fois que par la suite il fut question de résoudre quelques doutes sur la forme, sur les différens modes d’apparition des êtres surnaturels, l’on ne manqua pas d’en référer à l’infaillibilité des sens de pareils personnages. Pour leur compte, du point de vue où ils s’étaient placés, les théologiens n’avaient à faire valoir aucune objection sérieuse contre de pareils témoignages. Tout à fait aveu- glés d’ailleurs par la puissance, par la force apparente des raisons diverses dont je viens d’offrir l’aperçu, ils ne balancèrent pas à expliquer par l’action des êtres surnatu- rels sur les organes la plupart des accidens qui nous paraissent aujourd’hui devoir constituer la folie sensoriale, et certaines autres combinaisons du délire partiel. Tous les juges ecclésiastiques surent par cœur l’espèce de caté- chisme dont je vais m’efforcer de donner une idée, et qui prouve combien il est facile, dans certaines circonstances, de mettre l’apparence à la place de la vérité. Vous, Socrate, Dion, Brutus, Cassius, Néron, qui avez déféré aux croyances d’un absurde paganisme, et qui vous êtes trouvés par instans en rapport avec des génies ou